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27/01/2016

L'obèse, le sous-traitant et la vitesse V1

J'avais l'intention de titrer Le sous-traitant et la sécurité. Puis, je me suis dit que tu risquais de zapper. Depuis longtemps tu sais que la sous-traitance nuit à la sécurité. C'est flagrant pour les centrales nucléaires par exemple. Il ne manque pas de techniciens qui ont témoigné avoir signalé un doute et exigé un contrôle supplémentaire et se sont vus répondre « On n'a pas le temps, ça ira comme ça ! ». Tout est logique : pourquoi sous-traite -t-on? Parce-que c'est moins cher ! Et comment y arrive-t-on ? En réduisant le personnel et en augmentant les cadences. Quand il s'agit de contrôles, c'est dons toujours au détriment de la sécurité. C.Q.F.D. Tu le sais et ce n'est pas la peine de le répéter. Je te répondrais qu'il ne faut jamais louper l'occasion d’enfoncer le clou.

Tu vas me dire pourquoi parler de la vitesse V1. Pour attiser ta curiosité. Tout individu intelligent est curieux. Comme je pense que... Bon, je m'arrête là, tu m'as compris. Je te raconte tout et tu vas voir comment Mère Nature ne m'épargne pas. Hier, donc j'avais envie de me reposer et de regarder un dévédé en pleine journée? J'ai le droit, non ? On a pris la Bastille ! Et, en allumant la TV je tombe sur un docu de La 5 : Danger dans le ciel. Surcharge fatale (tu le trouveras peut-être demain en replay). J'aime bien regarder cette émission avec mon ami Tournesol. Passé une demi-heure de reconstitution mélodramatique destinée à soigner l'audimat, tu as droit à l'enquête sur les causes. Et là c'est passionnant, parce que le bureau d'investigation états-unien fait remarquablement bien son travail. Mieux qu'un film policier.

Après des mois d'investigation, ils ont trouvé la cause : un problème de surcharge. Le poids calculé par le pilote avant le décollage était sous-estimée. Tournesol m'a expliqué que le pilote doit prendre son manuel de décollage et calculer le poids autorisé en fonction de tas de paramètres : longueur de la piste, altitude, pression atmosphérique, température, vitesse et direction du vent, etc.  Ce manuel est constituée d'abaques, ou maintenant, le plus souvent, d'un logiciel qui permet d'aider le pilote dans ce travail. Et Tournesol sait de quoi il parle puisqu'il a informatisé ce manuel pour un petit biréacteur. Le logiciel donne tout une série de paramètres : les vitesses V1,V2... et le poids total maximal autorisé. V1, késako ? Écoute. Que se passe-t-il si un moteur s'arrête qaund l'avion roule à fond sur la piste juste avant de décoller. Tu me dis « Il ne décolle pas ! » Donc, il freine. Mais la piste est-elle assez longue?  Les freins sont étudiés surtout pour l'atterrissage de l'avion et pas pour le décollage quand il est à pleine charge. Tournesol me dit qu'il y a un fort risque d'éclatement des pneus. Eh bien, le pilote calcule la vitesse limite V1. En-dessous, il freine, au-dessus il décolle. Oui, l'appareil est prévu pour voler sur un seul moteur et même pour décoller. Il ne reste plus qu'à demander un atterrissage en urgence. Tu vas me demander pourquoi je te parle des vitesses alors qu'ici, c'est le poids qui nous intéresse. Juste pour me faire plaisir parce que j'ai trouvé ça amusant. Tu me pardonnes ?

Revenons à nos moutons, encore un fois. Comment le poids de l'avion est-il évalué ?C'est encore le travail du pilote. Il connaît le poids à vide, celui du kérosène qu'il a fixé en fonction de l'étape et fait charger. E les passagers, et les bagages  ? C'est encore le travail du pilote ! Il l'estime à partir de statistiques donnant le poids moyen du passager et de ses bagages. Manque de pot, ces stats dataient de 1936. Depuis, l'états-unien a grossi en moyenne de 6 kg et ses bagages de 3. Et l'avion s'est retrouvé en surcharge.

Conclusion, la commission d'enquête a demandé de refaire les stats et de recommander une pesée réelle. Une balance sur le passage du passager, c'est facile. Pour les bagages, tu vas me dire qu'ils sont déjà pesés. Oui, mais c'est juste pour ne pas dépasser le poids autorisé. Et la valeur exacte n'est pas communiquée au pilote. Encore un logiciel à refaire. Tout ça a un coût. Résultat, 70% des compagnies utilisent le poids moyen. Tournesol m'a dit que ça marchait la plupart du temps mais que les stats donnaient des gaussiennes, des courbes en forme de cloche, avec une queue à gauche et une à droite. Et qu'une fois sur cent, peut-être, on se retrouvait dans la queue de droite : en surcharge !

Mais les malheurs de la pauvre pilote ne s'arrêtèrent pas là. Comme dirait Oliveira de Figueira dans Tintin et Milou au Pays de l''Or Noir. L'avion a décollé malgré sa surcharge mais quand la pilote a rentré le train d'atterrissage, l'avion s'est cabré. Pourquoi ? Les enquêteurs sont allés jusqu'à téléphoner aux médecins des victimes pour connaître leur poids. Plusieurs approchaient les 200 livres et... ils étaient tous assis à l'arrière. Pour un petit avion (de l'ordre de 20 places) ça compte. Pas grave a pensé la pilote, il suffit de pousser le manche. Rien, les commandes ne répondaient pas assez.

L'enquête a révélé que les commandes du palonnier étaient mal réglées. Le débattement du gouvernail de profondeur était réduit de moitié. Donc insuffisant dans ce cas hors normes. Le technicien qui avait contrôlé le réglage était en formation. Il devait effectuer 25 contrôles. Au 16ème, le formateur lui a dit « C'est bon comme ça ! ». Et le contrôleur, car il y a toujours un contrôleur ! Eh bien, c’était le formateur ! Compression de personnel exige.

Moralité ? Condamnation du système capitaliste ? Bien sûr. Mais pas seulement. L'homme est faillible. Il a besoin de garde-fous. Le contrôle aurait du être exercé, pas seulement par la compagnie elle-même, mais par un organisme indépendant. Une société libertaire ne se conçoit que par l'équilibre et la confrontation de forces antagonistes. Amen.

J'ai été un peu long ? Excuse-moi. Mais j'écris de temps en temps des nouvelles et je n'aurais jamais imaginé un scénario aussi beau et... aussi triste. Pardonne-moi.

Pierre Otchick.

 

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