21/05/2011
Matérialisme. Mon dictionnaire anarchiste.
Pour commencer, je vais faire comme Quillet-Flammarion et être très laconique :
matérialiste, n. 1 Celui, celle qui croit que rien n’existe en dehors de la matière. 2 Fig. Celui qui ne recherche que la jouissance des sens.
Je m’intéresserai uniquement à l’aspect philosophique, ce qui n’est pas un petit travail puisque le matérialisme est né en même temps que la philo avec les atomistes. C’est en effet à Leucippe (460 ?-370 ? av J.-C.) que la tradition attribue l’idée que tout est composé d’a-tomes (particules in-sécables). On a mis 2500 ans pour réaliser à quel point cette intuition était géniale, mais on n’a pas fini d’en faire le tour : j’ai insisté sur le mot tout, c’est lui en effet qui est important. Citons wikipedia :
Cette pensée radicale retire aux dieux leurs potentialités spirituelles, fait de l'âme une chose matérielle et rend les arrière-mondes impossibles. (…). Cette physique matérialiste amène logiquement une éthique, comme le faisaient à cette époque de nombreux philosophes. Ainsi, les dieux ne peuvent plus exister que sous une forme matérielle, ils ne peuvent plus s'occuper des humains, les juger et leur envoyer toutes sortes de souffrances et de catastrophes. (…). On pourrait avancer que cette physique débouche sur une éthique hédoniste, en l'occurrence sur une morale de la joie. (http://fr.wikipedia.org/wiki/Leucippe)
Le matérialisme a donc deux conséquences fondamentales. D’un point de vue scientifique d’abord : les dieux n’interviennent pas dans la nature qui est donc accessible par la seule raison. Ce principe a permis aux grecs de fonder la pensée moderne et les bases de la science. Du point de vue moral, la portée est encore plus grande : les dieux ne sont pas à craindre et chaque individu peut choisir son éthique indépendamment de toute religion et rechercher le bonheur à sa façon. C’est sur cette base qu’Epicure, a fondé sa philosophie : Chez Epicure (341-270 av. J.-C.), le lien entre la physique atomiste et l’éthique est encore plus étroit. S’il adopte l’atomisme de Démocrite, c’est aussi parce que cette hypothèse « immunise » le monde contre les incursions des dieux. (Jean Greisch, Dictionnaire des Idées, Encyclopedia Universalis 2005).
Ces deux principes ont malheureusement été oubliés, chez nous, pendant 20 siècles. Ce sont les libertins (voir ce terme) qui les ont redécouverts en suivant une démarche inverse. Pour les atomistes, la distance prise vis-à-vis des religions était une conséquence de leur matérialisme ; pour les libertins, c’est le refus de l’autorité de l’Eglise et de sa position dogmatique qui débouche sur une démarche rationnelle dans le domaine scientifique. Les premiers libertins sont encore croyants, mais pour eux, Dieu n’intervient plus dans sa création – sauf quand il y a miracle – et cette création, qui n’est que matière, est donc soumises à des lois accessibles à l’esprit humain. Du point de vue moral, le refus de l’autorité de l’Eglise amène à reconnaitre la primauté de la conscience individuelle, le refus de certains tabous et débouche immanquablement sur une morale hédoniste.
Au XVIIIème siècle, la pensée des libertins se radicalisent et certains commencent à rejeter l’existence de Dieu et de l’âme transcendante. Le médecin français Julien Offroy de la Mettrie développe alors l’idée que les instincts et même le sens moral sont les produits d’un organe particulier, le cerveau. Dans ses ouvrages intitulés Traité de l’âme et Homme-Machine, il rejette toute interprétation théologique (finaliste) de la nature qui « ayant fait sans voir, des yeux qui voient, elle a fait sans penser, une machine qui pense ». (Jean-Pierre Gasc, dictionnaire des idées de l’Encyclopedia Universalis p 520).
Vous remarquerez en passant que de la Mettrie est totalement inconnu du grand public. Je voulais citer quelques phrases de l’Homme-Machine et je crois que j’ai eu la main un peu lourde. Vous pouvez en lire une ou deux au hasard. Vous ne serez pas étonné quand je vous dirai que ses livres ont été brulés publiquement et qu’il a été obligé de s’exiler. Je crois que le terrien du XXIème siècle aurait encore intérêt à réfléchir à la portée de ces écrits.
L’esprit doit être considéré comme une suite de l’organisation sophistiquée de la matière dans le cerveau humain : l’homme n’est donc qu’un animal supérieur (comme l’automate de Vaucanson). (…) tandis que tant de Pédans, après un demi-siècle de veilles & de travaux, plus courbés sous le faix des préjugés, que sous celui du tems, semblent avoir tout appris, excepté à penser. (…). Dans les maladies, tantôt l'Ame s'éclipse & ne montre aucun signe d'elle-même; tantôt on diroit qu'elle est double, tant la fureur la transporte; tantôt l'imbécillité se dissipe: & la convalescence, d'un Sot fait un Homme d'esprit. Tantôt le plus beau Génie devenu stupide, ne se reconnoit plus. Adieu toutes ces belles connoissances acquises à si grands frais, & avec tant de peine! (…)
Le corps humain est une Machine qui monte elle-même ses ressorts; vivante image du mouvement perpetuel. (…). Nous pensons, & même nous ne sommes honnêtes Gens, que comme nous sommes gais, ou braves; tout dépend de la manière dont notre Machine est montée. (…). Les divers Etats de l'Ame sont donc toujours corrélatifs à ceux du corps. (…). Des Animaux à l'Homme, la transition n'est pas violente; les vrais Philosophes en conviendront. Qu'étoit l'Homme, avant l'invention des Mots & la connoissance des Langues? Un Animal de son espèce, (…). Mais si tel est ce merveilleux & incompréhensible résultat de l'Organisation du Cerveau; si tout se conçoit par l'imagination, si tout s'explique par elle; pourquoi diviser le Principe sensitif qui pense dans l'Homme? (…)
http://fr.wikisource.org/wiki/L%27Homme_Machine (1747)
Pierre Otchick
22:05 | Lien permanent | Commentaires (0)
20/05/2011
Loi anti-gays - Nous avons gagné!
Note de lecture
La loi anti-gays en Ouganda n'est pas passée! Elle semblait sur le point d'être adoptée la semaine dernière, mais après 1,6 million de signatures de pétition remises au Parlement, des dizaines de milliers d'appels téléphoniques à nos gouvernements, des centaines d'articles de presse sur notre campagne et un gigantesque tollé mondial, les responsables politiques ougandais ont retiré le projet de loi! (…)
Traiter les causes profondes qui font l'homophobie et que sont l'ignorance et la haine, est une lutte historique et de longue haleine (…) Mais l'Ouganda est à présent en première ligne dans cette lutte et représente un symbole fort. La victoire là-bas résonne dans beaucoup d'autres endroits où les gens ont vraiment besoin d'espoir. Elle montre que (…) la tolérance et le respect peuvent vaincre la haine et l'ignorance.
http://avaaz.org/rfi_ouganda
10:07 | Lien permanent | Commentaires (0)
19/05/2011
Privatisation des individus
Note de lecture
On abandonne tous les terrains collectifs, on se replie sur son existence individuelle ou micro-familiale, on ne se soucie de rien qui dépasse le cercle très étroit des intérêts personnels. Ce mouvement est encouragé par les couches dominantes ; non pas qu’il y ait, évidemment, une conspiration, mais il y a toute la dynamique du système. La société de consommation, c’est cela : achetez un nouveau téléviseur, et taisez-vous ; achetez un nouveau modèle de voiture, et taisez-vous. Même la prétendue libération de la sexualité va en partie dans ce sens. Vous voulez du sexe ? Eh bien, voilà, on vous donne du sexe, on vous donne plein de porno, et terminé. Il en est ainsi au plan économique, mais il en est ainsi aussi au plan politique : c’est ce qu’exprime la bureaucratisation de toutes les instances de la vie collective. Faites-nous confiance, on est les experts, on est les techniciens, on est le parti qui défend vos intérêts. On est le Président que vous avez élu, on est le gouvernement que vous avez porté au pouvoir, donc faites-nous confiance et laissez-nous faire ; vous verrez au bout de quatre ou sept ans. Tout cela encourage l’apathie des individus, tout cela détruit l’espace public comme espace d’activité collective par laquelle les gens essaient de prendre en charge leur propre destin.
Cornélius Castoriadis, Les significations imaginaires 1982, dans Une société à la dérive, page 90, éd du Seuil, 1995
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